"Amours Chiennes" est un film qui reflète avec réalisme et crudité le chaos de la ville Mexico. C’est aussi un film intense en émotions évoquant la rédemption, la complexité et la vulnérabilité de l’expérience humaine.
En effet, la ville de Mexico est une expérience d’anthropologie appliquée, et je me sens intégré dans cette expérience. Je ne suis qu’une petite partie des vingt millions de personnes qui habitent dans la ville la plus grande et la plus peuplée du monde. Aucun être humain n’avait jamais vécu auparavant (survécu serait plus exact) dans une ville qui présente des niveaux pareils de pollution, de violence et de corruption, et pourtant, à sa façon invraisemblable et paradoxale, c’est aussi une ville belle et fascinante, et c’est précisément cela qu’"Amours Chiennes" représente : le fruit de cette contradiction et un petit reflet de la mosaïque baroque et complexe de la ville de Mexico.

Pour moi, le processus de réalisation d’"Amours Chiennes" a été un long voyage intérieur ;
la lecture du premier traitement de Guillermo Arriaga m’a bouleversé et perturbé (et nous avons travaillé sur trente-six traitements successifs durant trois années). Non seulement je pouvais voir et sentir les personnages, mais je sentais aussi leur odeur et éprouvais pour eux quelque chose de profondément humain. C’était comme s’ils étaient sortis du papier pour venir respirer et souffrir devant moi, avec des dialogues parfaitement organiques.
Il y a une chose dont je suis certain, c’est que ce film, je ne l’ai pas fait avec l’intellect, mais à force d’instinct et d’intuition. Je n’y ai pas mis non plus mon cœur, mais mes boyaux et un morceau de foie. Je crois que nous avons chacun donné un bout de notre vie pour ce projet, il y a toujours eu sur le plateau une étrange communion, un silence qui cultivait bien des sentiments contradictoires et qui a donné comme résultat des émotions assourdissantes. Pas d’inspiration, mais transpiration, ni pitié, ni compassion, ni concession, les choses telles qu’elles sont, pas comme nous voulons les voir.
Chacune des techniques, décoration, costumes, musique, se soumettait à l’histoire, et quant à l’incroyable caméra de Rodrigo Prieto, j’ai seulement voulu qu’elle soit un témoin muet mais actif des faits réels qui se déroulaient devant nos yeux. C’était un peu comme si il s’agissait de porter témoignage d’un morceau de réalité et c’est pour cela, peut-être, que le film est troublant et excitant, parce que ce que nous pouvons y voir de pire, c’est nous-mêmes et notre nature, même si parfois cela signifie la nier.
Dans "Amours Chiennes", les personnages oublient leur nature divine pour plonger entièrement dans leur nature animale et, par la douleur, se racheter et survivre, tout cela avec beauté, courage, dignité, espoir, et c’est pour cela, je crois, que ces personnages sont charmants et proches, parce qu’ils sont infidèles mais pas déloyaux.
Avec "Amours Chiennes", j’ai su immédiatement que j’avais enfin entre les mains une chose qui me permettrait d’exorciser ma terrible peur de l’ordinaire expérience humaine de la vie quotidienne, peut-être cachée derrière l’esthétique frivole de la publicité de la télévision.
Je voulais toucher et me toucher, me sentir vivant et le faire ressentir à mes personnages et à ceux qui les verraient. Je voulais frapper, caresser, amuser, émouvoir, provoquer, mener le spectateur aux extrêmes d’une montagne russe, sans souffle.
Je voulais dénuder complètement mes personnages devant la caméra, sans qu’ils en soient mal à l’aise, seulement pour atteindre la catharsis parfaite ou la honte gênante du spectateur qui se regarde lui-même. Et là, je crois que le travail incroyable et déchirant des acteurs du film est allé bien plus loin que tout ce que j’imaginais.